Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/266

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Borluut sortit, mêlé à la petite assemblée qui s’écoulait, muette… Entre les murs du vestibule, c’était une masse sombre, quelque chose d’indéterminé, de machinal, un glissement silencieux, qui bientôt cessa d’être.

Borluut s’en alla au hasard, accompagné des deux archers de Saint-Sébastien qui lui furent fidèles, et qui ne parlaient pas. Il les quitta rapidement, puis s’enfonça dans la Bruges nocturne, seul, avec une volupté d’être seul. Il s’évadait comme d’un cauchemar, d’une entrevue avec des fantômes qui étaient ses ennemis. Tout cela sembla bientôt comme si rien n’avait été ! Puis, le sens de la réalité lui revint.

Il récapitula la soirée, son discours vain, les blêmes silhouettes, le visage hargneux de Farazyn et des chefs de la ligue. Eux seuls avaient l’air de vivre parmi ces effacements. On aurait dit qu’ils siégeaient, formaient un tribunal. Borluut eut l’impression qu’il venait d’entendre condamner la beauté de Bruges — à mort ! Tout avait été réglé à l’avance. Ce fut un simulacre que cette publicité des débats et l’examen contradictoire. L’arrêt était préparé déjà. Rien ne serait empêché ; et leur Port-de-Mer, ils l’auraient ! Borluut n’y pourrait rien ; il n’avait rien pu, ni convaincu personne. C’était aussi impossible que de vouloir maintenant convaincre le brouillard, qui noyait la ville nocturne, flottait sur l’eau, dissolvait les ponts. Ah ! la Foule ! se battre avec la