Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/277

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ce qu’il pouvait laisser assassiner son rêve ? Il n’était entré dans l’Action que parce qu’elle se confondait, cette fois, avec le Rêve. Plus que lui-même, c’est son rêve qui était vaincu, le rêve de la beauté de Bruges. Il en fut le gardien fidèle, l’infatigable artisan. Que de travaux en suspens ! Et tant d’autres à entreprendre qui, du coup, se trouvaient compromis, sacrifiés, perdus. Précisément, il venait de soumettre le plan des restaurations de l’Académie, qui eût été un digne pendant de la Gruuthuus. Bien des façades attendaient encore qu’il eût le temps, qu’il vînt avec ses mains minutieuses, des mains de clinique et d’accouchement, les ausculter, les délivrer d’un ange sculpté, d’une gargouille, d’un visage d’enfant. Personne n’avait eu — et personne n’aurait plus — son art prudent de restaurer sans renouveler, de seulement étançonner, rejointoyer, dénuder les détails intacts, retrouver sous tout accroissement parasite l’écorce originelle des pierres.

Désormais, on allait abîmer son œuvre. On nommerait, en son remplacement, quelque maçon.

C’est à cause de cela qu’il s’affligea, et non pour la perte pécuniaire, puisqu’il possédait du bien, ni non plus pour l’avantage honorifique. Toujours il avait envisagé la vie de plus haut, et ne regretta dans sa disgrâce que la ruine prochaine de son œuvre, l’immixtion inévitable du mauvais goût, d’un faux archaïsme empressé à détruire cette harmonie