Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/281

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sa rencontre, toute hors d’haleine d’avoir couru sur les marches et d’être amoureuse.

Heureusement qu’on ne l’avait pas démis aussi de ses fonctions de carillonneur, non à cause d’un reste de bienveillance ou de reconnaissance pour les services rendus, mais parce que le concours public et l’élection par le peuple, plus que l’investiture par les magistrats, semblaient faire de cette charge un emploi inamovible.

Borluut garda ainsi son asile. C’était fini d’y monter ainsi que dans son rêve, ainsi que dans la tour de son orgueil. Le beffroi lui fut de nouveau le départ, la fuite hors de lui-même, l’ascension, le voyage vers le passé et les souvenirs. Par les baies vitrées, il n’eut plus le courage de regarder la ville, en proie à d’autres. Il s’isola, s’absorba en des réminiscences intimes, revécut les heures de la présence de Godelieve… C’est ici qu’elle s’était assise ; elle avait ri, elle avait tapoté le clavier. Là, il l’avait étreinte — heure de ciel, reposoir, dont l’odeur de chair blonde semblait encore embaumer à la même place.

Ô Godelieve ! Elle était la seule chose claire de sa sombre vie, la clochette blanche, en laquelle il l’incarna dans ce temps-là, et qui dominait le noir déluge des autres cloches. De nouveau, maintenant que ses jours s’assombrissaient définitivement, seule la clochette blanche surplomba, égaya encore un peu les grandes eaux de sa Tristesse. Il la connaissait