Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/299

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fût une parole sacramentelle, une formule de toute-puissante magie.

Frémissant, il s’élança pour la retrouver une fois encore, à un autre point de la ville, car la procession suivait un long itinéraire, prolongeait, durant deux heures, ce drame marché et mimé, déclamant le même texte, réitérant les mêmes scènes. Il rattrapa le cortège. Tout récidiva : les Prophètes, Abraham, l’idylle de la Crèche, les Stations coloriées à qui les secousses des porteurs donnaient un air de vivre ; la Dispute des Docteurs, l’Entrée à Jérusalem, le Portement de la Croix. Vision confuse, cauchemar de cris et de fumées. Joris ne distingua plus rien. Il attendait Godelieve.

Elle parut, plus lasse et plus pâle, toujours les yeux clos, ayant peur de le revoir, ne voulant plus le revoir. Maintenant elle tenait sa croix droite devant elle et contre elle ; elle s’en était barricadé tout le corps.

Au même instant, un ange qui précédait la bannière de la Sodalité, cria, d’une voix de Jugement dernier, une longue mélopée :

Hommes ! ne restez pas obstinés dans la faute,
Car, hélas ! le temps fuit, le temps que vous vivez !
Hommes, c’en est assez, priez et vous sauvez…

C’était comme une annonciation d’au-delà de la vie, un chant versé du bord de l’Éternité, l’avertissement de la mort en chemin. Joris l’entendit, sentit son misérable amour se faner en lui, mourir en lui…