Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/77

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sentiments ? C’est la chair qui, brusquement, décide de tout. Une force inconnue le jeta sur la bouche de la jeune fille… Et les avertissements préalables de la Destinée ne lui avaient pas manqué. Car c’est toujours par cette bouche qu’il se sentait obsédé, rafraîchi et brûlé, comme si elle était fleur et flamme à la fois. Tout à coup cette bouche l’avait communié. À présent l’amour était dans cette bouche comme Dieu dans l’hostie. C’était l’irrémédiable. Il n’y avait plus moyen de faire que cela ne fût pas. Ç’avait été le fait d’une seule minute, mais cette minute liait l’Éternité.

Borluut se jugeait dorénavant engagé. Il serait le sacrilège, le profanateur misérable de cette bouche consacrée, s’il la reniait. Il nommait déjà Barbe en lui sa fiancée et sa femme. Nul subterfuge de conscience, pour éluder le devoir, encore qu’aucune parole d’amour décisif, nulle promesse ni nul serment n’eussent été échangés entre elle et lui, le soir du baiser. N’importe ! le baiser, à lui seul, suffisait. Sur la bouche de cire rouge, Joris avait, en posant la sienne, marqué le sceau d’un pacte tacite, mais irrévocable.

D’ailleurs, pas une minute, il ne songea à se dégager. Il était décidé. Il alla trouver le vieil antiquaire :

— Je viens, mon cher ami, pour une chose grave…

— Comme vous dites cela ! De quoi s’agit-il ?

Borluut se trouva embarrassé… Il avait combiné