Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’était plus seulement d’avoir de belles pendules ou des horloges rares que Van Hulle s’inquiétait. Il s’était mis à les aimer autrement que comme des natures mortes. Certes leur aspect extérieur importait, leur architecture, leur mécanisme, leur valeur d’art. Mais, s’il en avait tant rassemblé, c’est avec un autre souci encore, et pour répondre à son étrange préoccupation de l’heure exacte. Il ne lui suffisait pas qu’elles fussent intéressantes. Il s’ennuyait de la différence d’heure qu’elles marquaient. Surtout au moment des sonneries. L’une, très vieille, était détraquée, s’embrouillait dans ce compte de la fuite du temps qu’elle répétait depuis si longtemps. D’autres se trouvaient en retard, petites pendules Empire aux voix d’enfants presque, comme de pendules pas encore adultes. En somme, les pendules et les horloges étaient toujours en désaccord. Elles avaient l’air de courir l’une après l’autre, de s’appeler, de s’être perdues, de se chercher à tous les carrefours variables de l’heure.

Van Hulle était contrarié de ne jamais les voir à l’unisson. Quand on vit ensemble, n’est-il pas meilleur qu’on se ressemble ? Il aurait aimé les voir toutes aller de même, c’est-à-dire penser de même, penser comme lui, marquer, sans plus dévier, une heure homogène dont il leur aurait donné le signal. Mais cet accord était un miracle qui jusqu’ici lui avait paru impossible.

Autant vouloir que tous les galets de la mer,