Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/42

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O vieux arbres des bois ! oublieux comme nous,
Devant lesquels jadis nous tombions à genoux
Après avoir gravé sur votre écorce dure
Nos noms déjà couverts de mousse et de verdure,
Ne vous souvient-il plus de nos tressaillements
Pour protéger ainsi tous les autres amants ?…
Pourquoi prêter encor votre ombre à leurs étreintes,
Pourquoi laisser graver sur nos vagues empreintes
Leurs deux noms que bientôt aussi vous oublierez ?…
Ils s’oublieront de même et seront séparés,
Puisque le temps efface sous ses doigts de marbre
Les amours dans le cœur et les lettres dur l’arbre !
Ce n’est donc pas leur faute à ces amants ingrats
S’ils ont — le cœur changé — désenlacé leurs bras,
Et ce n’est pas ta faute à toi, grande Nature,
Puisque c’est une loi sombre, implacable et dure
Qui veut que tout s’oublie et passe peu à peu !


III

Mais l’oubli c’est peut-être un des bienfaits de Dieu :
L’oubli, c’est le nuage au départ des colombes,
C’est le gazon fleuri repoussant sur les tombes,