Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/66

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C’est un bien triste jour le jour où l’on se pare
Pour se quitter ; le jour qui divise et sépare
Ceux qu’au même foyer la tendresse a groupés.
Car il est de ces nœuds du cœur ourdis dans l’ombre
Dont on ne sent la force impénétrable et sombre
Qu’à l’heure où le destin cruel les a coupés !…

On ne croyait pas tant s’aimer. Dans la demeure
Il semblerait que tout s’éteigne et que tout meure,
Car celui qui s’en va parait le plus chéri.
Tous pleurent : les enfants plus jeunes, l’air farouche,
Regardent sans comprendre et le doigt dans la bouche
La grande sœur qui met son beau chapeau fleuri.

La mère se coupa sous l’oreille une mèche
De cheveux qu’elle mit, ainsi qu’une fleur sèche,
Sous le verre d’un vieux médaillon en tremblant ;
Puis, comme un talisman obtenu d’une fée,
Lui noua ce bijou sur sa robe agrafée
Avec un velours noir autour de son cou blanc.

Elle, la jeune fille, entr’ouvrant sa fenêtre,
Choisi parmi les fleurs que le soleil pénètre
Un frais petit rosier embaumé d’avril ;