Page:Rodin - L’Art, 1911, éd. Gsell.djvu/251

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humaines, disent tout ce que l’on peut dire sur l’homme et sur le monde, et puis elles font comprendre qu’il y a autre chose qu’on ne peut connaître.

Tout chef-d’œuvre a ce caractère mystérieux. On y trouve toujours un peu de vertige. Rappelez-vous le point d’interrogation qui plane sur tous les tableaux de Vinci. Mais j’ai tort de choisir pour exemple ce grand mystique, chez qui ma thèse se vérifie trop aisément. Prenons plutôt le sublime Concert Champêtre du Giorgione. C’est toute la douce joie de vivre ; mais à cela s’ajoute une sorte d’enivrement mélancolique : qu’est-ce que la joie humaine ? D’où vient-elle ? Où va-t-elle ? Énigme de l’existence !

Prenons encore, si vous voulez, les Glaneuses de Millet. Une de ces femmes qui peinent affreusement sous le soleil torride, se redresse et regarde l’horizon. Et nous croyons comprendre que, dans cette tête fruste, une question vient de se poser à travers un éclair de conscience : — À quoi bon ?

C’est là le mystère qui flotte sur toute l’œuvre.

À quoi bon la loi qui enchaîne les créatures à l’existence pour les faire souffrir ? À quoi bon ce leurre éternel qui leur fait aimer la vie, pourtant si douloureuse ? Angoissant problème !