Page:Rodin - L’Art, 1911, éd. Gsell.djvu/54

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tique. Il voudrait nous interdire de représenter ce qui lui déplaît et l’offense dans la Nature.

C’est une profonde erreur de sa part.

Ce qu’on nomme communément laideur dans la Nature peut dans l’art devenir d’une grande beauté.

Dans l’ordre des choses réelles, on appelle laid ce qui est difforme, ce qui est malsain, ce qui suggère l’idée de la maladie, de la débilité et de la souffrance, ce qui est contraire à la régularité, signe et condition de la santé et de la force ; un bossu est laid, un bancal est laid, la misère en haillons est laide.

Laides encore l’âme et la conduite de l’homme immoral, de l’homme vicieux et criminel, de l’homme anormal qui nuit à la société ; laide, l’âme du parricide, du traître, de l’ambitieux sans scrupules.

Et il est légitime que des êtres et des objets dont on ne peut attendre que du mal soient désignés par une épithète odieuse.

Mais qu’un grand artiste ou un grand écrivain s’empare de l’une ou de l’autre de ces laideurs, instantanément il la transfigure… d’un coup de baguette magique il en fait de la beauté : c’est de l’alchimie, de la féerie !