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LA MAISON PÂLE.

lui comme dans un club dont sa haute prudence devait diriger les moindres délibérations. Au sourire haineux qui effleurait habituellement le coin de sa bouche, à l’âpre fierté de ses moindres mouvemens, aux paroles brèves et saccadées qu’il laissait tomber sur ces interlocuteurs, pas un qui n’eût cru voir parler et se mouvoir devant lui un portrait de Carreno ou de Velasquez… Les instructions qu’il leur donnait sur la position coloniale de l’Espagne eussent honoré la sagacité d’un ministre !

Il affichait au dehors la livrée de la misère ; et cependant, depuis quelques semaines il commençait à en sortir… Ce n’était pas lui d’abord qui payait le loyer de cette maison où il logeait depuis peu ; c’était son propriétaire lui-même, le joaillier Boehmer.

Cet homme, qui devait figurer plus tard si malheureusement dans l’éclatante affaire du collier, était devenu à la lettre l’adepte du comte. En quittant Saint-Domingue pour le pavé glissant de Paris, l’Espagnol avait compris que dans cette ville de charlatans un nom de noble sonnerait merveilleusement ; cependant, il faut le dire à sa gloire, il avait d’abord généreusement lutté contre cette profanation de toute noblesse. Peu à peu la misère prit le dessus, et il se résolut à se servir de son titre… Les comtes de Cagliostro et de Saint-Germain étaient à coup sûr de moins bonne famille que lui, mais ils savaient engluer leur monde par de belles paroles. À défaut de leur habit, Tio-Blas possédait leur éloquence ; il se servit de la sienne près du joaillier.

Un hasard singulier avait fait garder à l’Espagnol