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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

ciles qui s’égosillent à crier les nouvelles des districts, dit Platon avec un singulier mépris.

— Oui ; mais l’air est doux, il apaise le feu de ma poitrine… Mes douleurs sont moins aiguës quand je vois entrer dans ma chambre un peu de soleil. Restez près de moi, mon digne maître ; vous êtes toute ma famille… Depuis que ma mère n’est plus, c’est vous, c’est vous seul qui m’avez ouvert les bras !

À ce cruel retour sur son isolement, il se mit à fondre en larmes. Il prit les deux mains de La Boëssière dans les siennes, et les serrant avec force, il lui dit :

— Concevez-vous ce chagrin cruel, mon ami ? mourir seul, mourir sans famille ! arriver au dernier jour sans qu’un des vôtres vous pleure ? Oh ! quelle agonie douloureuse sera la mienne, moi qui sais tant de secrets après Dieu, moi qui compte du doigt en ce moment-ci les absens !

— De quels absens voulez-vous parler, Saint-Georges ?

— Oh ! je me comprends, poursuivit-il avec un amer sourire…

Et sa tête pesante retomba sur sa poitrine ; il examina plusieurs objets épars sur le guéridon.

— Voici la bague d’une morte, reprit-il avec un accent de mélancolie rêveuse. Elle est morte d’hier au couvent de l’Assomption.

Et il baisa la bague pieusement du bout de ses lèvres. Une brise molle entrait dans la chambre ; elle fit voltiger les lettres pendues au mur avec un léger frémissement : on eût dit qu’elles allaient s’entre-parler.