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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

— Et voilà ce qui vous trompe, monsieur le conseiller, interrompit un autre personnage portant l’uniforme râpé de colonel de cavalerie ; de Vannes n’est pas plus heureux que moi ; la protection de messieurs de la colonie ne nous caresse pas ici… n’est-ce pas, de Vannes ?

Le joueur inclina le front en signe d’assentiment.

— En vérité, reprit l’ex-militaire, il n’est sorte de tracasserie qu’on ne nous suscite. Ne vont-ils pas jusqu’à dire que j’ai été remercié en France et que j’eusse été cassé, à la tête de ma compagnie, sans mon prompt départ.

— Vous jouez gros jeu, M. de Vannes.

— C’est une maudite habitude, mon cher conseiller. J’ai perdu, en revanche, tout l’automne dernier, et je me suis vu sur le point de me faire économe de sucrerie…

— Par la sambleu ! de Vannes, reprit un planteur de la Petite-Rivière, tu aurais fait bonne figure à pied ou à cheval autour des cases ; il faut pour cela un tempérament robuste, et je te crois plus propre à réussir au cavagnol ou au biribi que dans l’inspection des jardins et des caféiêres, comme Platon que voici…

— Que veux-tu, mon cher, depuis qu’il y a un tas de roturiers qui sont venus faire à Saint-Domingue le rôle de gentilshommes, la vraie noblesse agonise…

— Ne m’en parle pas ; tu as raison, il nous pleut ici des intrigans qui font le rôle de gens d’affaires