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AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

S’il se mettait à la tête d’un grand parti de révolte, c’était avec la pensée « d’épargner, comme il dit, à la grande œuvre de la révolution prolétarienne l’écœurante et cruelle odeur de sang, de meurtre et de haine, qui est restée attachée à la Révolution bourgeoise. À l’égard de toutes les doctrines, » il réclamait, en son nom et au nom de son parti, « le respect de la personnalité humaine et de l’esprit qui se manifeste en chacune d’elles. » (1910). Le seul sentiment de l’antagonisme moral qui existe entre les hommes, même sans lutte apparente, des barrières invisibles qui s’opposent à la fraternité humaine, lui était douloureux. Il ne pouvait lire les paroles du cardinal Newman sur le gouffre de la damnation qui est, dès cette vie, ouvert entre les hommes, « sans avoir, disait-il, une sorte de cauchemar… Il voyait l’abîme prêt à se creuser sous les pas de tous ces êtres humains, misérables et fragiles, qui se croient reliés par une communauté de sympathie et d’épreuves » ; et il en souffrait jusqu’à l’obsession.

C’est à combler cet abîme d’incompréhension qu’il s’appliqua, toute sa vie. Il eut cette originalité, tout en étant le porte-parole des partis les plus avancés, de se faire le médiateur perpétuel entre les idées aux prises. Il cherchait à les associer toutes au service du bien et du progrès communs. En philosophie, il unissait idéalisme et réalisme : en histoire, présent et passé ; en politique, l’amour de sa patrie et le respect des