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AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

lières, et dont les pays neutres eux-mêmes ressentent le dangereux frisson ; c’est la raison, la foi, la poésie, la science, toutes les forces de l’esprit qui sont enrégimentées, et se mettent, dans chaque État, à la suite des armées. Dans l’élite de chaque pays, pas un qui ne proclame et ne soit convaincu que la cause de son peuple est la cause de Dieu, la cause de la liberté et du progrès humains. Et je le proclame aussi…

Des combats singuliers se livrent entre les métaphysiciens, les poètes, les historiens. Eucken contre Bergson, Hauptmann contre Maeterlinck, Rolland contre Hauptmann, Wells contre Bernard Shaw. Kipling et d’Annunzio, Dehmel et de Régnier chantent des hymnes de guerre. Barrès et Maeterlinck entonnent des péans de haine. Entre une fugue de Bach et l’orgue bruissant : Deutchland über Alles ! le vieux philosophe Wundt, âgé de quatre-vingt-deux ans, appelle de sa voix cassée les étudiants de Leipzig à la « guerre sacrée ». Et tous, les uns aux autres, se lancent le nom de « barbares ». L’Académie des sciences morales de Paris déclare, par la voix de son président, Bergson, que « la lutte engagée contre l’Allemagne est la lutte même de la civilisation contre la barbarie ». L’histoire allemande, par la bouche de Karl Lamprecht, répond que « la guerre est engagée entre le germanisme et la barbarie, et que les combats présents sont la suite logique de ceux que l’Allemagne a livrés, au cours des