Page:Rolland - Au-dessus de la mêlée.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

77
LETTRE À CEUX QUI M’ACCUSENT

bation le peuple allemand et ses chefs, militaires ou intellectuels ;

2o L’estime et l’amitié que je conserve pour des hommes de cette nation avec qui nous sommes en guerre.

Je répondrai d’abord, sans ambages, à ce second reproche. — Oui, j’ai des amis allemands comme j’ai des amis français, italiens, anglais, de toute race. C’est ma richesse, j’en suis fier, et je la garde. Quand on a eu le bonheur de rencontrer dans le monde des âmes loyales avec qui l’on partage ses plus intimes pensées, avec qui l’on a noué des liens fraternels, ces liens sont sacrés, et ce n’est pas à l’heure de l’épreuve qu’on ira les briser. Quel lâche serait-il donc, celui qui cesserait peureusement de les avouer, pour obéir aux sommations insolentes d’une opinion publique qui n’a aucun droit sur notre cœur ? L’amour de la patrie exige-t-il cette dureté de sentiment, que l’on décore, je le sais, du nom de Cornélienne ? Mais Corneille lui-même a fourni la réponse :

— « Albe vous a nommé, je ne vous connais plus.
— « Je vous connais encore, et c’est ce qui me tue. »

Ce que de telles amitiés, en des moments pareils, ont de douloureux parfois jusqu’au tragique, certaines lettres le montreront plus tard. Du moins, nous leur devons d’avoir pu, grâce à elles, nous défendre de la haine, qui est plus meurtrière encore que la guerre, car