Page:Rolland - Aux peuples assassinés.djvu/14

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que gagner ; ici ou là, que leur importe ! Ils s’accommodent aussi bien de la guerre que de la paix, et de la paix que de la guerre : tout leur est bon. Quand on lit (simple exemple entre mille) l’histoire récemment contée de ces grands capitalistes allemands, acquéreurs des mines normandes, rendus maîtres de la cinquième partie du sous-sol minier français, et développant en France, de 1908 à 1913, pour leurs gros intérêts, l’industrie métallurgique et la production du fer, d’où sont sortis les canons qui balayent actuellement les armées allemandes, on se rend compte à quel point les hommes d’argent deviennent indifférents à tout, sauf à l’argent. Tel le Midas antique, qui, tout ce qu’il touchait, ses doigts le faisaient métal… Ne leur attribuez pas de vastes plans ténébreux ! Ils ne voient pas si loin ! Ils visent à amasser au plus vite et le plus gros. Ce qui culmine en eux, c’est l’égoïsme anti-social, qui est la plaie du temps. Ils sont simplement les plus représentatifs d’une époque asservie à l’argent. Les intellectuels, la presse, les politiciens, — oui, même les chefs d’État, ces fantoches de guignols tragiques, sont, qu’ils le veuillent ou non, devenus leurs instruments, leur servent de paravent. Et la stupidité des peuples, leur soumission fataliste, leur vieux fond ancestral de sauvagerie mystique, les livrent sans défense au vent de mensonge et de folie qui les pousse à s’entre-tuer…

Un mot inique et cruel prétend que les peuples ont toujours les gouvernements qu’ils méritent. S’il était vrai, ce serait à désespérer de l’humanité : car quel est le gouvernement à qui un honnête homme voudrait donner la main ? Mais il est trop évident que les peuples, qui travaillent, ne peuvent suffisamment contrôler les hommes qui les gouvernent ; c’est bien assez qu’ils aient toujours à en expier les erreurs ou les crimes, sans les en rendre, par surcroît, responsables !