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Page:Rolland - Beethoven, 1.djvu/39

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LES GRANDES ÉPOQUES CRÉATRICES

Mais au point de départ — qui serait pour ie reste des hommes un point d’arrivée — vers 1800, dans sa trentième année, quand il a déjà conquis la première place, aux côtés du vieux Haydn, sa force paraît intacte, et il en a la conscience orgueilleuse… Qui s’affranchit des liens et du bâillon d’un vieux monde pourrissant, de ses maîtres, de ses dieux, il doit se montrer digne de sa neuve liberté, il doit pouvoir la porter. Sinon, qu’il reste à la chaîne !… La première condition de l’homme libre est ! a force… Beethoven l’exalte. Il est porté à la surestimer. Kraft über ailes !… Il y a en lui de VUebermensch de Nietzsche, avant la lettre. S’il peut être généreux avec fougue, c’est que telle est sa nature et qu’il lui plaît de faire royalement largesse « aux amis dans la besoin[1] », de son butin conquis. Mais il pourrait aussi bien être sans pitié, sans égards : à des moments, il l’est. Je ne parle pas de ses furieuses colères, où il ne respecte rien, pas même les inférieurs[2]. Il professe quelquefois une morale du plus fort — « Faustrecht » :

— « La force est la morale des hommes qui se distinguent des autres ; et c’est aussi la mienne »[3].

Il est riche en mépris : mépris du faible, de l’ignora

1. Lettre à Wegeler, de juin 1801, — au reste, postérieure à l’ir ruption de la maladie, qui devait avoir sur son caractère de profondes répercussions.

2. Les domestiques. Injures et actes de violences. Voir la scène de Hogarth, racontée par Ries.

3. « Kraft ist die Moral der Menschen, die sich vor Andercn auszeichnen, und sie ist auch die meinige. » (Lettre à Zmeskall, vers 1800),

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