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LES DERNIERS QUATUORS

l’atmosphère morale où ce quatuor a pris substance, je veux évoquer la figure même de Beethoven, telle que font vu ceux qui l’ont approché, cette année.

Ici, l’on doit réagir contre la légende qui tend à dramatiser, en la simplifiant, la figure de Beethoven, et, qui, parce que les derniers quatuors furent écrits au seuil de la mort, y voudraient voir déjà l’ombre de celle-ci, dont Beethoven aurait eu conscience. — « Ce qui lui reste à vivre n’est, en tout sens, que peu de chose, peu de temps, peu de conseil », dit, en son beau livre (« Pouvoirs de Beethoven).), M. Emmanuel Buenzod.

Mais Beethoven n’en jugeait pas du tout ainsi. S’il lui arrivait, comme à tout le monde, dans ses heures sombres, de parler de la mort, il n’avait aucunement le désir de lui ouvrir sa porte, et il comptait bien la faire attendre longtemps. Il tenait bon, il regorgeait d’œuvres, il ne lâcherait pas prise, avant de s’en être déchargé. Il espérait, en octobre 1826, « apporter encore quelques grandes œuvres au monde ». Sur son lit de mort, comme nous verrons, il ne consentit à rendre les armes qu’au tout dernier instant. Rien de plus faux que de le représenter, entre 1823 et 1827, comme un mort en sursis, un hors-la-vie, qui s’achemine, consentant, vers la tombe, en écrivant ses œuvres testamentaires. La mort n’a pas été la conclusion, à l’heure juste, de sa vie. Elle a été un brutal accident (« ein Zufall », comme il disait lui-même de sa maladie, le 7 décembre 1826), qui a brisé la création et le constructeur, en pleine maturité, l’arbre gonflé de fruits.

Même quand l’œuvre porte inscrites, de la main de Beethoven, comme le quatuor en la mineur, les marques de la maladie (ou, plus exactement, de la convalescence d’une