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LES DERNIERS QUATUORS

et triste, le teint jaune, maladif. Je le répète, pas un trait de la dureté, pas un de la puissante hardiesse qui désigne l’élan (« Schwung) de son esprit. » Uniquement « Wehmut », Leiden, Güte… » (mélancolie, souffrance, bonté). Rellstab a le cœur saisi. Les larmes lui viennent aux yeux, de ce chagrin (Gram) qui pèse sur le « kranken schwermütigen Dulder » (l’homme de douleur et de mélancolie, le martyr). Et comme un jeune poète ne se contente pas d’une explication terre à terre, et qu’il lui faut, pour ajouter à son plaisir (Wonne der Wehmut), faire intervenir le Fatum de la tragédie, il se refuse à attribuer son accablement à la maladie, mais à la cruauté de son Destin de vie, qui a imposé à cet athlète le renoncement. Il ne voit pas qu’il fatigue le malade, avec son bavardage et ses plans de libretti d’opéras. Il attend que Reethoven, épuisé, incapable même d’impatience, dise, en s’excusant : « Je suis aujourd’hui si peu bien, si las et affaibli !… » Rellstab s’en va, bouleversé par le spectacle de ce héros brisé.

Or, voilà l’homme en qui s’ébauchaient, à cette même heure, les premiers balbutiements de l’oraison à la Divinité.

Et voici maintenant l’aube qui s’éveille du convalescent qui sent ses forces ressusciter (Neue Kraft fühlend), avec les trilles d’alouette de l’Andante. Après des jours, des jours, où Beethoven reste invisible, sa porte fermée, Rellstab revient, et il le trouve, cette fois, debout sur le seuil. Beethoven le fait entrer et parle de son prochain départ pour la campagne, où il pourra enfin se remettre au travail. Rellstab lui dit qu’il vient d’entendre son quatuor op. 127.

« Un éclair de joie anima son regard fatigué. Mais ce ne fut qu’un instant, puis il dit, comme se blâmant : — « C’est si difficile ! On l’aura mal joué. » — Rellstab dit qu’on l’a joué

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