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V

BELETTE

Mai.

Depuis trois mois, j’avais reçu la commande d’un bahut avec un grand dressoir, pour le château d’Asnois ; et j’attendais, pour commencer, d’être allé de mes yeux revoir la maison, la chambre et la place. Car un beau meuble est comme un fruit qu’on doit cueillir à l’espalier ; il ne saurait pousser sans l’arbre ; et tel est l’arbre, tel le fruit. Ne me parlez point d’une beauté, qui pourrait être ici ou là, et qui s’ajuste à tout milieu, comme une fille à qui la paie le mieux. C’est la Vénus des carrefours. L’art est pour nous quelqu’un de la famille, le génie du foyer, l’ami, le compagnon, et qui dit mieux que nous ce que tous nous sentons ; l’art, c’est notre dieu lare. Si tu veux le connaître, il faut connaître sa maison. Le dieu est fait pour l’homme, et l’œuvre pour le lieu qu’elle achève et remplit. Le beau est ce qui est le plus beau en sa place.

J’allai donc voir la place où je pourrais planter mon meuble ; et j’y passai une partie de la journée,