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II

LE SIÈGE
OU LE BERGER, LE LOUP ET L’AGNEAU


« Agneau de Chamoux,
N’en faut que trois pour étrangler un loup. »


Mi-février.

Ma cave sera bientôt vide. Les soldats que M. de Nevers, notre duc, nous envoya pour nous défendre, viennent de mettre en perce ma dernière feuillette. Ne perdons pas de temps, allons boire avec eux ! Me ruiner, je veux bien ; mais me ruiner gaiement. Ce n’est pas la première fois ! S’il plaît à la bonté divine, ce ne sera pas la dernière.

Bons garçons ! ils sont plus affligés que moi, lorsque je leur apprends que le liquide baisse… Je sais de mes voisins qui le prennent au tragique. Je ne peux plus, je suis blasé : j’ai été trop souvent au théâtre, en ma vie, je ne prends plus les pitres au sérieux. En ai-je vu de ces masques, depuis que je suis au monde, des Suisses, des Allemands, des Gascons, des Lorrains, des animaux de guerre, le harnois sur le dos et les armes au poing, avaleurs de pois gris, lévriers affamés, jamais las de manger le bonhomme ! Qui jamais put savoir pour quelle cause