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LA NOUVELLE JOURNÉE

flânait, rêvassait à des choses qu’il ne ferait jamais. Une seule chose l’attirait : la musique. Dieu sait comment ! Nul musicien, parmi les siens, à l’exception d’un grand-oncle, un peu toqué, un de ces originaux de province, dont l’intelligence et les dons, souvent remarquables, s’emploient, dans leur isolement orgueilleux, à des niaiseries de maniaques. Celui-là avait inventé un nouveau système de notation — (un de plus !) — qui devait révolutionner la musique ; il prétendait même avoir trouvé une sténographie qui permettait de noter à la fois les paroles, le chant et l’accompagnement ; il n’était jamais parvenu lui-même à la relire correctement. Dans la famille, on se moquait du bonhomme ; mais on ne laissait pas d’en être fier. On pensait : « C’est un vieux fou. Qui sait ? Il a peut-être du génie… » — Ce fut de lui sans doute que la manie musicale se transmit au petit-neveu. Quelle musique pouvait-il bien entendre, dans sa ville !… Mais une mauvaise musique peut inspirer un amour aussi pur qu’une bonne.

« Le malheur était qu’une telle passion ne semblait pas avouable, dans ce milieu : et l’enfant n’avait pas la solide déraison du grand-oncle. Il se cachait pour lire les élucubrations du vieux maniaque, qui constituèrent