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LA FIN DU VOYAGE

par son nom qui était déjà du passé, par son œuvre considérable, par son accent de conviction passionnée, par la violence de sa sincérité. Mais si l’on était contraint de compter avec lui, s’il forçait l’admiration ou l’estime, on le comprenait mal et on ne l’aimait point. Il était en dehors de l’art du temps. Un monstre, un anachronisme vivant. Il l’avait toujours été. Ses dix ans de solitude avaient accentué le contraste. Durant son absence, s’était accompli en Europe, et surtout à Paris, comme il l’avait bien vu, un travail de reconstruction. Un nouvel ordre naissait. Une génération se levait, désireuse d’agir plus que de comprendre, affamée de bonheur plus que de vérité. Elle voulait vivre, elle voulait s’emparer de la vie, fût-ce au prix du mensonge. Mensonges de l’orgueil, — de tous les orgueils : orgueil de race, orgueil de caste, orgueil de religion, orgueil de culture et d’art, — tous lui étaient bons, pourvu qu’ils fussent une armature de fer, pourvu qu’ils lui fournissent l’épée et le bouclier, et qu’abritée par eux, elle marchât à la victoire. Aussi lui était-il désagréable d’entendre la grande voix tourmentée, qui lui rappelait l’existence de la douleur et des doutes : ces rafales, qui avaient troublé la nuit à peine enfuie, qui continuaient, en