Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Il lisait distraitement, à un étalage de libraire, un livre de poésies. Le nom de l’auteur lui était inconnu. Certains mots le frappèrent ; il resta attaché. À mesure qu’il continuait de lire entre les feuilles non coupées, il lui semblait reconnaître une voix, des traits amis… Impuissant à définir ce qu’il sentait, et ne pouvant se décider à se séparer du livre, il l’acheta. Rentré chez lui, il reprit sa lecture. Aussitôt, son obsession le reprit. Le souffle impétueux du poème évoquait, avec une précision de visionnaire, les âmes immenses et séculaires, — ces arbres gigantesques, dont nous sommes les feuilles et les fruits, — les Patries. De ces pages surgissait la figure surhumaine de la Mère, — celle qui fut avant nous, celle qui sera après nous, celle qui trône, pareille aux Madones byzantines, hautes comme des montagnes, au pied desquelles prient les fourmis humaines. Le poète célébrait le duel homérique de ces grandes Déesses, dont les lances

— 107 —