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LA FIN DU VOYAGE

humain. Plutôt que de lui voir commettre une injustice, il l’eût préférée morte. Mais il ne doutait point d’elle. Il était exclusivement français, de culture et de cœur, uniquement nourri de la tradition française, dont il retrouvait les raisons profondes dans son instinct. Il méconnaissait, avec sincérité, la pensée étrangère, pour laquelle il avait une sorte de condescendance dédaigneuse, — d’irritation, si l’étranger n’acceptait point cette situation humiliée.

Christophe voyait tout cela ; mais plus âgé et plus instruit par la vie, il ne s’en affectait point. Si cet orgueil de race ne laissait pas d’être blessant, Christophe n’en était pas atteint ; il faisait la part des illusions de l’amour filial, et il ne songeait pas à critiquer les exagérations d’un sentiment sacré. Au reste, l’humanité même trouve son profit à la croyance vaniteuse des peuples dans leur mission. De toutes les raisons qu’il avait de se sentir éloigné d’Emmanuel, une seule lui était pénible : la voix d’Emmanuel, qui s’élevait parfois à des intonations suraiguës. L’oreille de Christophe en souffrait cruellement. Il ne pouvait s’empêcher de faire des grimaces. Il tâchait qu’Emmanuel ne les vît point. Il s’appliquait à entendre la musique, et non pas l’instrument. Une telle beauté