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LA FIN DU VOYAGE

en ont pensé ! Votre Nicolas Poussin s’en est allé vivre et mourir à Rome ; il étouffait chez vous. Votre Pascal, votre Racine ont dit adieu au monde. Et parmi les plus grands, que d’autres vécurent à l’écart, disgraciés, opprimés ! L’âme même d’un Molière cachait bien des amertumes. — Pour votre Napoléon, que vous regrettez tant, vos pères ne semblent pas s’être doutés de leur bonheur ; et le maître lui-même ne s’y est pas trompé ; il savait que lorsqu’il disparaîtrait, le monde ferait : « Ouf ! »… Autour de l’Imperator, quel désert de pensée ! Sur l’immensité de sable, le soleil africain…

Christophe ne disait point tout ce qu’il ruminait. Quelques allusions avaient suffi à mettre Emmanuel en fureur ; il ne les avait pas renouvelées. Mais il avait beau garder pour lui ses pensées, Emmanuel savait qu’il les pensait. Bien plus, il avait obscurément conscience que Christophe voyait plus loin que lui. Et il n’en était que plus irrité. Les jeunes gens ne pardonnent pas à leurs aînés, qui les contraignent à voir ce qu’ils seront dans vingt ans.

Christophe lisait dans son cœur et se disait :

— Il a raison. À chacun sa foi. Il faut croire ce qu’on croit. Dieu me garde de troubler sa confiance dans l’avenir !