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LA NOUVELLE JOURNÉE

chez lui ; mais elle avait eu peur, au moment d’entrer.) Elle était saisie de l’aspect de solitude et de tristesse de l’appartement : l’antichambre étroite et obscure, le manque absolu de confort, la pauvreté visible, lui serraient le cœur ; elle était pleine de pitié affectueuse pour son vieil ami, que tant de travaux et de peines et quelque célébrité n’avaient pu affranchir de la gêne des soucis matériels. Et en même temps, elle s’amusait de l’indifférence totale au bien-être que révélait la nudité de cette pièce, sans un tapis, sans un tableau, sans un objet d’art, sans un fauteuil ; pas d’autres meubles qu’une table, trois chaises dures et un piano ; et, mêlés quelques livres, des papiers, des papiers partout, sur la table, sous la table, sur le parquet, sur le piano, sur les chaises — (elle sourit, en voyant avec quelle conscience il avait tenu parole).

Après quelques instants, elle lui demanda :

— C’est ici — (montrant sa place) — que vous travaillez ?

— Non, dit-il, c’est là.

Il indiqua le renfoncement le plus obscur de la pièce, et une chaise basse qui tournait le dos à la lumière. Elle alla s’y mettre gentiment, sans un mot. Ils se turent quelques minutes, et ils ne savaient que dire. Il se