Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

160
LA FIN DU VOYAGE

et complexe que des siècles ont formée. Mille fois plus riche et plus complexe que le langage parlé. La race s’exprime en elle… Contrastes perpétuels entre les lignes d’une figure et les mots qu’elle dit. Tel profil de jeune femme, au dessin net, un peu sec, à la façon de Burne Jones, tragique, comme rongé par une passion secrète, une jalousie, une douleur shakespearienne… Elle parle : c’est une petite bourgeoise, sotte comme un panier, coquette et égoïste avec médiocrité, n’ayant aucune idée des redoutables forces inscrites dans sa chair. Cependant, cette passion, cette violence sont en elle. Sous quelle forme se traduiront-elles, un jour ? Sera-ce par une âpreté au gain, une jalousie conjugale, une belle énergie, une méchanceté maladive ? On ne sait. Il se peut même qu’elle les transmette à un autre de son sang, avant que soit venue l’heure de l’explosion. Mais c’est un élément avec lequel il faut compter et qui plane sur la race, comme une fatalité.

Grazia aussi portait le poids de ce trouble héritage, qui, de tout le patrimoine des vieilles familles, est ce qui risque le moins de se dissiper en route. Elle, du moins, le connaissait. C’est une grande force, de savoir sa faiblesse, de se rendre, sinon maître, pilote de l’âme de la race à laquelle on est lié, qui