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LA NOUVELLE JOURNÉE

d’amour brûlant et chaste les deux sœurs à la fois, ou la mère et la fille. La femme que Christophe aimait, il eût voulu l’aimer dans toute la suite de sa race, ainsi qu’il aimait en elle toute sa race passée. Chacun de ses sourires, de ses pleurs, des plis de son cher visage, n’était-il pas un être, le ressouvenir d’une vie, avant que se fussent ouverts ses yeux à la lumière, l’annonciateur d’un être qui plus tard devait venir, quand ses beaux yeux seraient fermés ?

Le petit garçon, Lionello, avait neuf ans. Beaucoup plus joli que sa sœur, et d’une race plus fine, trop fine, exsangue et usée, il ressemblait au père ; il était intelligent, riche en mauvais instincts, caressant et dissimulé. Il avait de grands yeux bleus, de longs cheveux blonds de fille, le teint blême, la poitrine délicate, une nervosité maladive, dont il jouait, à l’occasion, étant comédien né, de plus étrangement habile à trouver le faible des gens. Grazia avait pour lui une prédilection, par cette préférence naturelle des mères pour l’enfant moins bien portant, — aussi par cet attrait de femmes bonnes et honnêtes pour des fils qui ne sont ni l’un ni l’autre, (car en eux se soulage toute une part de leur vie qu’elles ont refoulée). Et il s’y mêle encore un souvenir du mari qui les a fait souffrir, et