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LA FIN DU VOYAGE

appris à Christophe que son jeune ami Jeannin était en train de faire des folies. Jacqueline, qui avait toujours été d’une grande faiblesse envers son fils, n’essayait plus de le retenir. Elle passait elle-même par une crise singulière : elle était trop occupée de soi, pour s’occuper de lui.

Depuis la triste aventure qui avait brisé son mariage et la vie d’Olivier, Jacqueline menait une existence très digne et retirée. Elle se tenait à l’écart de la société parisienne qui, après lui avoir hypocritement imposé une sorte de quarantaine, lui avait de nouveau fait des avances, qu’elle avait repoussées. De son action elle n’éprouvait vis-à-vis de ces gens nulle honte ; elle estimait qu’elle n’avait pas de compte à leur rendre : car ils valaient moins qu’elle ; ce qu’elle avait accompli franchement, la moitié des femmes qu’elle connaissait le pratiquaient sans bruit, sous le couvert protecteur du foyer. Elle souffrait seulement du mal qu’elle avait fait à son meilleur ami, au seul qu’elle eût aimé. Elle ne se pardonnait point d’avoir perdu, dans un monde aussi pauvre, une affection comme la sienne.

Ces regrets, cette peine, s’atténuèrent peu à peu. Il ne subsista plus qu’une souffrance sourde, un mépris humilié de soi et des