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LA FIN DU VOYAGE

s’indigna, elle attribua cet éloignement à d’autres influences féminines ; et en voulant maladroitement les combattre, elle ne fit que l’éloigner davantage. En réalité, ils avaient toujours vécu, l’un à côté de l’autre, préoccupés chacun de soucis différents et se faisant illusion sur ce qui les séparait, grâce à une communion de sympathies et d’antipathies à fleur de peau, dont il ne resta plus rien, quand de l’enfant (cet être ambigu, encore tout imprégné de l’odeur de la femme) l’homme se dégagea. Et Jacqueline disait, avec amertume, à son fils :

— Je ne sais pas de qui tu tiens. Tu ne ressembles ni à ton père, ni à moi.

Elle achevait ainsi de lui faire sentir tout ce qui les séparait ; et il en éprouvait un secret orgueil, mêlé de fièvre inquiète.


Les générations qui se suivent ont toujours un sentiment plus vif de ce qui les désunit que de ce qui les unit ; elles ont besoin de s’affirmer leur importance de vivre, fût-ce au prix d’une injustice ou d’un mensonge avec soi-même. Mais ce sentiment est, suivant l’époque, plus ou moins aigu. Dans les âges classiques où se réalise, pour un temps, l’équilibre des forces d’une civilisation, — ces hauts plateaux bordés de pentes