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LA FIN DU VOYAGE

neur ; il ne nous permet pas de flâner sur la route. Chaque fois que nous croyons être au but, la meute nous mord les fesses. En marche ! Plus loin ! Plus haut ! Elle se lassera plutôt de me poursuivre que moi de marcher devant elle. Redis-toi le mot arabe : « On ne tourmente pas les arbres stériles. Ceux-là seuls sont battus de pierres, dont le front est couronné de fruits d’or »… Plaignons les artistes qu’on épargne. Ils resteront à mi-chemin, paresseusement assis. Quand ils voudront se relever, leurs jambes courbaturées se refuseront à marcher. Vivent mes amis les ennemis ! Ils m’ont fait plus de bien, dans ma vie, que mes ennemis, les amis !

Emmanuel ne pouvait s’empêcher de sourire. Puis, il disait :

— Tout de même, ne trouves-tu pas dur, un vétéran comme toi, de te voir faire la leçon par des conscrits, qui en sont à leur première bataille ?

— Ils m’amusent, dit Christophe. Cette arrogance est le signe d’un sang jeune et bouillant qui aspire à se répandre. Je fus ainsi, jadis. Ce sont les giboulées de mars, sur la terre qui renaît… Qu’ils nous fassent la leçon ! Ils ont raison, après tout. Aux vieux, de se mettre à l’école des jeunes ! Ils ont profité de nous, ils sont ingrats : c’est dans