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LA NOUVELLE JOURNÉE

envoûtement sacré. — Mais il faut du temps au public pour s’habituer aux conquêtes qu’un grand artiste rapporte de ses plongées au fond de l’océan. Bien peu suivaient Christophe dans la témérité de ses dernières compositions. Sa gloire était toute due à ses premières œuvres. Le sentiment de cette incompréhension dans le succès, plus pénible encore que dans l’insuccès, parce qu’elle paraît sans remède, avait aggravé chez Christophe, depuis la mort de son unique ami, une tendance un peu maladive à s’isoler du monde.

Cependant, les portes de l’Allemagne s’étaient rouvertes à lui. En France, l’oubli était tombé sur la tragique échauffourée. Il était libre d’aller où il voulait. Mais il avait peur des souvenirs qui l’attendaient, à Paris. Et bien qu’il fut rentré pour quelques mois en Allemagne, bien qu’il y revint de temps en temps, pour diriger des exécutions de ses œuvres, il ne s’y était point fixé. Trop de choses l’y blessaient. Elles n’étaient pas spéciales à l’Allemagne ; il les trouvait ailleurs. Mais on est plus exigeant pour son pays que pour un autre, et on souffre davantage de ses faiblesses. Au reste, il était vrai que l’Allemagne portait la plus lourde charge des péchés de l’Europe. Quand on a la victoire, on en est responsable, ou contracte une dette