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LA NOUVELLE JOURNÉE

Émouvant entretien, qu’aucun mot n’eût traduit. À peine la musique pouvait-elle l’exprimer. Quand le cœur était plein, plein jusqu’à déborder, Christophe, immobile, les yeux clos, l’écoutait chanter. Ou, des heures, assis devant son piano, il laissait ses doigts parler. Durant cette période, il improvisa plus que dans le reste de sa vie. Il n’écrivait pas ses pensées. À quoi bon ?

Quand, après plusieurs semaines, il recommença à sortir et à voir les autres hommes, sans que personne de ses intimes, sauf Georges, eût un soupçon de ce qui s’était passé, le démon de l’improvisation persista quelque temps encore. Il visitait Christophe, aux heures où on l’attendait le moins. Un soir, chez Colette, Christophe se mit au piano et joua pendant près d’une heure, se livrant tout entier, oubliant que le salon était plein d’indifférents. Ils n’avaient pas envie de rire. Ces terribles improvisations subjuguaient et bouleversaient. Ceux même qui n’en comprenaient pas le sens avaient le cœur serré ; et les larmes étaient venues aux yeux de Colette… Lorsque Christophe eut fini, il se retourna brusquement ; il vit l’émotion des gens, et, haussant les épaules, — il rit.

Il était arrivé au point où la douleur, aussi, est une force, — une force qu’on domine.