Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

11
LA NOUVELLE JOURNÉE

toute race venaient se poser, ainsi que des oiseaux, à l’abri de la tempête. Maintenant, quel refuge ? L’île a été recouverte par la mer. Rome n’est plus. Les oiseaux se sont enfuis des Sept Collines. — Les Alpes leur demeurent. Là se maintient, (pour combien de temps encore ?) au milieu de l’Europe avide, l’îlot des vingt-quatre cantons. Certes, il ne rayonne point le mirage poétique de la Ville séculaire ; l’histoire n’y a point mêlé à l’air que l’on respire l’odeur des dieux et des héros ; mais une puissante musique monte de la Terre toute nue ; les lignes des montagnes ont des rythmes héroïques ; et plus qu’ailleurs, ici, l’on se sent en contact avec les forces élémentaires. Christophe n’y venait point chercher un plaisir romantique. Un champ, quelques arbres, un ruisseau, le grand ciel, lui eussent suffi pour vivre. Le calme visage de sa terre natale lui était plus fraternel que la Gigantomachie alpestre. Mais il ne pouvait oublier qu’ici, il avait recouvré sa force ; ici, Dieu lui était apparu dans le Buisson Ardent ; il n’y retournait jamais sans un frémissement de gratitude et de foi. Il n’était pas le seul. Que de combattants de la vie, que la vie a meurtris, ont retrouvé sur ce sol l’énergie nécessaire pour reprendre le combat et pour y croire encore !