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LA FIN DU VOYAGE

croupe du rêve hennissant qui passe, et le serre entre ses genoux. L’esprit reconnaît les lois du rythme qui l’entraîne ; il dompte les forces déréglées, et leur fixe la voie et le but où il va. La symphonie de la raison et de l’instinct s’organise. L’ombre s’éclaire. Sur le long ruban de route qui se déroule, se marquent par étapes des foyers lumineux, qui seront à leur tour dans l’œuvre en création les noyaux de petits mondes planétaires enchaînés à l’enceinte de leur système solaire…

Les grandes lignes du tableau sont désormais arrêtées. À présent son visage surgit de l’aube incertaine. Tout se précise : l’harmonie des couleurs et le trait des figures. Pour mener l’œuvre à son achèvement, toutes les ressources de l’être sont mises à réquisition. La cassolette de mémoire est ouverte, et ses parfums s’exhalent. L’esprit déchaîne les sens ; il les laisse délirer, et se tait ; mais, tapi à côté, il les guette et il choisit sa proie…

Tout est prêt ; l’équipe de manœuvres exécute, avec les matériaux ravis aux sens, l’œuvre dessinée par l’esprit. Il faut au grand architecte de bons ouvriers qui sachent leur métier et ne ménagent point leurs forces. La cathédrale s’achève.