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LA FIN DU VOYAGE

nus et qui vivaient avant nous, tout a été pour que ces deux enfants atteignissent à la joie… Cette joie, Antoinette, pour qui tu étais faite, et qui te fut refusée !… Ah ! si les malheureux pouvaient goûter, par avance, le bonheur qui sortira, un jour, de leurs vies sacrifiées ! »

Pourquoi eût-il cherché à discuter ce bonheur ? Il ne faut pas vouloir que les autres soient heureux à notre façon, mais à la leur. Tout au plus, demandait-il doucement à Georges et à Aurora qu’ils n’eussent pas trop de mépris pour ceux qui, comme lui, ne partageaient pas leur foi.

Ils ne se donnaient même pas la peine de discuter avec lui. Ils avaient l’air de se dire :

— Il ne peut pas comprendre…

Il était, pour eux, du passé. Et, à ne rien céler, ils n’attachaient pas au passé une énorme importance. Entre eux, il leur arrivait de causer innocemment de ce qu’ils feraient plus tard, quand Christophe « ne serait plus là »… — Pourtant, ils l’aimaient bien… Ces terribles enfants, qui poussent autour de vous, comme des lianes ! Cette force de la nature, qui se hâte, qui vous chasse…

— « Va-t-en ! Va-t-en ! Ôte-toi de là ! À mon tour !… »