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LA FIN DU VOYAGE

rés dans leurs regrets du passé ; ils assistaient à la disparition lente de la vieille Suisse, avec une sorte de fatalisme religieux, un pessimisme calviniste : de grandes âmes grises. Christophe les voyait rarement. Ses blessures anciennes s’étaient cicatrisées en apparence ; mais elles avaient été trop profondes pour guérir tout à fait. Il avait peur de renouer des liens avec les hommes. Il avait peur de se reprendre à la chaîne d’affections et de douleurs. C’était un peu pour cela qu’il se trouvait bien dans un pays où il était facile de vivre à l’écart, étranger parmi la foule des étrangers. Au reste, il était rare qu’il séjournât longtemps au même endroit ; il changeait souvent de gîte : vieil oiseau nomade, qui a besoin d’espace, et pour qui la patrie est dans l’air… « Mein Reich ist in der Luft… »