Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

35
LA NOUVELLE JOURNÉE

Belle façade. La vie était plus apparente que réelle. Par dessous, l’incurable frivolité, commune à la société mondaine de tous les pays. Mais ce qui donnait à celle-ci ses caractères de race, c’était son indolence. La frivolité française s’accompagne d’une fièvre nerveuse, — un mouvement perpétuel du cerveau, même quand il se meut à vide. Le cerveau italien sait se reposer. Il ne le sait que trop. Il est doux de sommeiller à l’ombre chaude, sur le tiède oreiller d’un mol épicurisme et d’une intelligence ironique, très souple, assez curieuse, et prodigieusement indifférente, au fond.

Tous ces hommes manquaient d’opinions décidées. Ils se mêlaient à la politique et à l’art, avec le même dilettantisme. On voyait là des natures charmantes, de ces belles figures italiennes de patriciens aux traits fins, aux yeux intelligents et doux, aux manières tranquilles, qui aimaient d’un goût exquis et d’un cœur affectueux la nature, les vieux peintres, les fleurs, les femmes, les livres, la bonne chère, la patrie, la musique… Ils aimaient tout. Ils ne préféraient rien. On avait le sentiment parfois qu’ils n’aimaient rien. L’amour tenait pourtant une large place dans leur vie ; mais c’était à condition qu’il ne la troublât point. Il était indolent et pares-