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LA NOUVELLE JOURNÉE

seule chose : son quieto vivere. Ils avaient besoin de longues périodes d’anéantissement. Quand ils sortaient de là, ainsi qu’après un bon sommeil, ils étaient frais et dispos ; ces hommes graves, ces tranquilles madones ; étaient pris brusquement d’une fringale de parole, de gaieté, de vie sociale : il leur fallait se dépenser en une volubilité de gestes et de mots, de saillies paradoxales, d’humour burlesque : ils jouaient l’opera buffa. Dans cette galerie de portraits italiens, on eût trouvé rarement l’usure de la pensée, cet éclat métallique des prunelles, ces visages flétris par le travail perpétuel de l’esprit, comme on en voit, au Nord. Pourtant il ne manquait pas, ici comme partout, d’âmes qui se rongeaient et qui cachaient leurs plaies, de désirs, de soucis qui couvaient sous l’indifférence et, voluptueusement, s’enveloppaient de torpeur. Sans parler, chez certains, d’étranges échappées, baroques, déconcertantes, indices d’un déséquilibre obscur, propre aux très vieilles races, — comme les failles qui s’ouvrent dans la Campagne Romaine.

Il y avait bien du charme dans l’énigme nonchalante de ces âmes, de ces yeux calmes et railleurs, où dormait un tragique caché. Mais Christophe n’était pas d’humeur à le