Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

51
LA NOUVELLE JOURNÉE

— Des amis, dit-il tristement. Rien de plus ?

— Ingrat ! Que voulez-vous de plus ? M’épouser ?… Vous souvenez-vous d’autrefois, lorsque vous n’aviez d’yeux que pour ma belle cousine ? J’étais triste alors que vous ne compreniez pas ce que je sentais pour vous. Toute notre vie aurait pu être changée. Maintenant, je pense que c’est mieux, ainsi ; c’est mieux que nous n’ayons pas exposé notre amitié à l’épreuve de la vie en commun, de cette vie quotidienne, où ce qu’il y a de plus pur finit par s’avilir…

— Vous dites cela, parce que vous m’aimez moins.

— Oh ! non, je vous aime toujours autant.

— Ah ! c’est la première fois que vous me le dites.

— Il ne faut plus qu’il y ait rien de caché entre nous. Voyez-vous, je ne crois pas beaucoup au mariage. Le mien, je le sais, n’est pas un exemple suffisant. Mais j’ai réfléchi et regardé autour de moi. Ils sont rares, les mariages heureux. C’est un peu contre nature. On ne peut enchaîner ensemble les volontés de deux êtres qu’en mutilant l’une d’elles, sinon toutes les deux ; et ce ne sont même point là, peut-être, des souffrances où l’âme ait profit à être trempée.

— Ah ! dit-il, j’y vois une si belle chose,