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LA FIN DU VOYAGE

ses peines passées ; elles n’avaient plus rien de triste. Près d’elle, sous son regard, tout était simple, tout était comme cela devait être… À son tour, elle racontait. Il entendait à peine ce qu’elle disait ; mais nulle de ses pensées n’était perdue pour lui. Il épousait son âme. Il voyait avec ses yeux. Il voyait partout ses yeux, ses yeux tranquilles où brûlait un feu profond ; il les voyait dans les beaux visages mutilés des statues antiques et dans l’énigme de leurs regards muets ; il les voyait dans le ciel de Rome, qui riait amoureusement autour des cyprès laineux et entre les doigts des lecci, noirs, luisants, criblés des flèches du soleil.

Par les yeux de Grazia, le sens de l’art latin s’infiltra dans son cœur. Jusque-là, Christophe était demeuré indifférent aux œuvres italiennes. L’idéaliste barbare, le grand ours qui venait de la forêt germanique, n’avait pas encore appris à goûter la saveur voluptueuse des beaux marbres dorés, comme un rayon de miel. Les antiques du Vatican lui étaient franchement hostiles. Il avait du dégoût pour ces têtes stupides, ces proportions efféminées ou massives, ce modelé banal et arrondi, ces Gitons et ces gladiateurs. À peine quelques statues-portraits trouvaient-elles grâce à ses yeux ; et leurs modèles