Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

82
LA FIN DU VOYAGE

droit. Tu as fait pis que ces hommes, toi qui te croyais fort. » J’ai appris aussi à voir que rien n’existait d’inutile, et que les plus vils ont leur rôle dans le plan de la tragédie. Les dilettantes dépravés, les fétides amoralistes, ont accompli leur tâche de termites : il fallait démolir la masure branlante, avant de réédifier. Les Juifs ont obéi à leur mission sacrée, qui est de rester, à travers les autres races, le peuple étranger, le peuple qui tisse, d’un bout à l’autre du monde, le réseau de l’unité humaine. Ils abattent les barrières intellectuelles des nations, pour faire le champ libre à la Raison divine. Les pires corrupteurs, les destructeurs ironiques qui ruinent nos croyances du passé, qui tuent nos morts bien-aimés, travaillent, sans le savoir, à l’œuvre sainte, à la nouvelle vie. C’est de la même façon que l’intérêt féroce des banquiers cosmopolites, au prix de combien de désastres ! édifie, qu’ils le veuillent ou non, la paix future du monde, côte à côte avec les révolutionnaires qui les combattent, et bien plus sûrement que les niais pacifistes.

« Vous le voyez. Je vieillis. Je ne mords plus. Mes dents sont usées. Quand je vais au théâtre, je ne suis plus de ces spectateurs naïfs qui apostrophent les acteurs et insultent le traître.