Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/102

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Ils reprirent leur œuvre de construction patiente et ingénieuse, plus que celle des abeilles ; car ils parvenaient à façonner avec quelques bribes de souvenirs médiocres une image merveilleuse d’eux-mêmes et de leur amitié. Après s’être idéalisés toute la semaine, ils se revoyaient le dimanche ; et malgré la disproportion qu’il y avait entre la vérité et leur illusion, ils s’habituaient à ne point la remarquer et à déformer les choses dans le sens de leur désir.

Ils s’enorgueillissaient d’être amis. Le contraste même de leurs natures les rapprochait. Christophe ne connaissait rien d’aussi beau que Otto. Ses mains fines, ses jolis cheveux, son teint frais, sa parole timide, la politesse de ses manières et le soin méticuleux de sa mise le ravissaient. Otto était subjugué par la force débordante et l’indépendance de Christophe. Habitué par une hérédité séculaire au respect religieux de toute autorité, il

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