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Jean-Christophe

dehors de la façon la plus ignominieuse. Otto ne brilla point dans cette épreuve : il se croyait déjà en prison et larmoyait, protestant niaisement qu’il était entré par mégarde et qu’il avait suivi Christophe sans savoir où il allait. Quand il se vit sauvé, au lieu de se réjouir, il fit d’aigres reproches à Christophe ; il se plaignit que Christophe le compromît. L’autre l’écrasa du regard, et l’appela : « Capon ! » Ils échangèrent des paroles vives. Otto se fut séparé de Christophe, s’il avait su comment revenir seul : il fut forcé de le suivre ; mais ils affectaient d’ignorer qu’ils étaient ensemble.

Un orage se préparait. Dans leur colère, ils ne le virent pas venir. La campagne brûlante bruissait de cris d’insectes. Tout à coup, tout se tut. Ils ne s’aperçurent du silence qu’après quelques minutes : leurs oreilles bourdonnaient. Ils levèrent les yeux : le ciel était sinistre ; d’énormes nuages lourds et livides l’avaient rempli ; ils arrivaient de tous côtés, comme un galop de cavalerie. Ils semblaient tous courir vers un point invisible, aspirés par un gouffre du ciel. Otto, angoissé, n’osait dire ses craintes à Christophe ; et celui-ci prenait un malin plaisir à ne vouloir rien remarquer. Ils se rapprochèrent pourtant, sans se parler. Ils étaient seuls dans la plaine. Silence. Pas un souffle d’air. À peine un frisson de fièvre, qui faisait frémir par moments les petites

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