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Jean-Christophe

entrée en lui, toute sa joie d’aimer et d’être aimé était gâtée. Non seulement son amitié pour Otto, mais toute amitié était empoisonnée.

Ce fut bien pis, quand quelques allusions sarcastiques lui firent croire, à tort peut-être, qu’il était en butte à la curiosité malsaine de la petite ville, et surtout, quand Melchior, à quelque temps de là, lui fit des observations au sujet de ses promenades avec Otto. Melchior, probablement, n’y voyait pas malice ; mais Christophe, averti, lisait le soupçon dans toutes les paroles ; et il se croyait presque coupable. Otto, au même moment, passait par une crise analogue.

Ils essayèrent encore de se voir en cachette. Mais il fut impossible de retrouver l’abandon des entretiens passés. La franchise de leurs relations était altérée. Ces deux enfants, qui s’aimaient d’une tendresse si craintive, qu’ils n’avaient jamais osé se donner un baiser fraternel, et qu’ils n’imaginaient pas de plus grand bonheur que de se voir, de s’entendre, et de partager leurs rêves, se sentaient salis par le soupçon des cœurs malhonnêtes. Ils en arrivaient à voir le mal dans les actes les plus innocents : un regard, un serrement de main ; ils rougissaient, ils avaient de mauvaises pensées. Leurs rapports devenaient intolérables.

Sans se donner le mot, ils se virent moins sou-

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