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Jean-Christophe

murs, baissait la tête, et courait presque, sans se retourner. En même temps, il ne cessait de penser aux deux figures qu’il avait vues ; il montait au grenier, enlevant ses chaussures pour qu’on ne l’entendît pas ; et il s’ingéniait à regarder par la lucarne, du côté de la maison et du parc des Kerich, bien qu’il sût parfaitement qu’il était impossible de voir autre chose que le dôme des arbres et les cheminées du faîte.

Environ un mois après, il jouait dans un des concerts hebdomadaires du Hof Musik Verein un concerto de sa composition pour piano et orchestre. Il était arrivé au milieu de la dernière partie du morceau, quand il vit par hasard dans la loge en face de lui, madame de Kerich et sa fille, qui le regardaient. Il s’y attendait si peu qu’il en fut tout étourdi et faillit manquer sa réponse à l’orchestre. Il continua de jouer d’une façon mécanique, jusqu’à la fin du morceau. Lorsque ce fut fini, il vit, bien qu’il évitât de regarder de leur côté, que madame et mademoiselle de Kerich applaudissaient avec une légère exagération, comme si elles avaient voulu qu’il les vît applaudir. Il se hâta de quitter la scène. Au moment de sortir du théâtre, il aperçut dans le couloir, séparée par quelques rangées de personnes, madame de Kerich qui semblait l’attendre au passage. Il était impossible qu’il ne la vît pas : il feignit

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