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Jean-Christophe

n’osant pas, ne pouvant pas tourner la tête, ni à droite, ni à gauche, ahuri par la multiplicité des questions de madame de Kerich et par l’exubérance de ses façons, glacé par les regards de Minna qu’il sentait attachés à ses traits, à ses mains, à ses mouvements, à son habillement. Elles le troublaient encore plus, en voulant le mettre à l’aise — madame de Kerich, par son flot de paroles, — Minna, par les œillades coquettes qu’elle lui faisait, d’instinct, pour s’amuser.

Enfin elles renoncèrent à tirer de lui autre chose que des salutations et des monosyllabes ; et madame de Kerich, qui faisait à elle seule tous les frais de la conversation, lui demanda, lassée, de se mettre au piano. Bien plus intimidé que par un public de concert, il joua un adagio de Mozart. Mais sa timidité même, le trouble que son cœur commençait d’éprouver auprès de ces deux femmes, l’émotion ingénue qui gonflait sa poitrine, et le rendait heureux et malheureux ensemble, s’accordaient avec la tendresse et la pudeur juvénile de ces pages, et leur prêtaient un charme de printemps. Madame de Kerich en fut touchée ; elle le dit avec l’exagération louangeuse, habituelle aux gens du monde ; elle n’en était pas moins sincère, et l’excès même de l’éloge était doux, venant d’une aimable bouche. La maligne Minna se taisait, et regardait avec étonnement

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