Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/167

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le matin

midi ; elle avait un ouvrage à la main, et n’y fit pas dix points qui ne fussent de travers ; mais que lui importait ! Dans un coin de la chambre, le dos tourné à sa mère, elle souriait ; ou, prise d’un soudain besoin de se détendre, elle bondissait dans la pièce, en chantant à tue-tête. Madame de Kerich tressautait, et l’appelait folle. Minna se jetait à son cou, en se tordant de rire, et l’embrassait à l’étrangler.

Le soir, rentrée dans sa chambre, elle fut longtemps avant de se coucher. Elle se regardait toujours dans sa glace, cherchait à se souvenir, et ne pensait à rien, à force d’avoir pensé tout le jour à la même chose. Elle se déshabilla lentement ; elle s’arrêtait à tout instant, assise sur son lit, cherchant à retrouver l’image de Christophe : c’était un Christophe de fantaisie qui lui apparaissait ; et maintenant, il ne lui semblait plus si mal. Elle se coucha et éteignit la lumière. Dix minutes après, la scène du matin lui revint brusquement à l’esprit, et elle éclata de rire. Sa mère se leva doucement, et ouvrit la porte, croyant que malgré sa défense elle lisait dans son lit. Elle trouva Minna tranquillement couchée, les yeux grands ouverts dans la demi-lueur de la veilleuse.

— Qu’y a-t-il donc, demanda-t-elle, qui te met en gaieté ?

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